jeudi 25 avril 2013

ENTRETIEN

Transparence : "Les mesures Hollande n'auraient pas permis d'éviter l'affaire Cahuzac"

Le Monde.fr | • Mis à jour le
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A l'Assemblée nationale, le 9 avril.
Dans un chat sur LeMonde.fr, Éric Halphen, magistrat et président d'honneur d'Anticor, une association de lutte contre la corruption, estime que le contrôle des lobbies est "le problème important" de la vie parlementaire.
Visiteur  : Ces fameuses mesures sur la transparence, auraient-elles permis de prévenir une affaire Cahuzac ? Au moment de remplir sa déclaration patrimoniale, aurait-il fait mention de son "petit compte" a l'étranger ?
Eric Halphen : Non, de telles mesures n'auraient pas permis d'éviter l'affaire Cahuzac, car je ne vois pas la Haute Autorité aller spontanément demander aux autorités suisses si M. Cahuzac avait un compte bancaire.

Evidemment, l'obligation de déclaration n'aurait pas empêché le compte à l'étranger. En revanche, il y a maintenant des sanctions prévues en cas de déclaration mensongère, et cela aurait permis de sanctionner automatiquement le ou les fraudeurs.

Jean-Louis Martin : Pensez-vous que ces nouvelles mesures prises par le gouvernement sont nécessaires et auront un réel impact ?
Cela fait longtemps qu'une association telle qu'Anticor réclame des mesures précises pour rendre plus honnête la vie politique. Du coup, on ne va pas se plaindre que des réformes soient envisagées en ce sens.
Par exemple, l'inéligibilité à vie ou pour dix ans des hommes ou femmes politiques condamnés pour infractions financières, c'est quelque chose qui est selon nous de nature à améliorer de façon significative nos institutions.
Pourquoi les mesures annoncées par François Hollande n'ont pas été prises plus tôt ? Est-ce une question de culture politique française ?
C'est une vraie question. On peut regretter qu'à l'instar de son prédécesseur, le gouvernement actuel ait tendance à réagir parfois sous le coup de l'émotion aux événements de l'actualité plutôt que d'envisager à froid des réformes d'envergure.
Il faut en tout cas espérer qu'on dépassera le stade des mots pour arriver à une véritable réforme.
Visiteur : Selon-vous, quels pouvoirs devrait avoir le futur "super-procureur" anticorruption?
C'est une disposition qui pour l'instant, à défaut de précisions qui viendront peut-être début mai, me laisse sceptique. Un procureur chargé des affaires financières, il en existe déjà, notamment à Paris, où le chef de la section financière peut dans certains cas avoir compétence nationale.
Il faut donc attendre de voir ce qui est prévu, étant précisé qu'un véritable procureur anticorruption n'aura de sens que s'il est réellement indépendant du pouvoir politique. Ce qui signifierait une réforme du statut du parquet, qui ne semble pas à l'ordre du jour.
Visiteur  : Est-ce une bonne chose que le monopole des poursuites fiscales n'appartienne plus à l'administration ?
Actuellement, pour toute poursuite en matière fiscale, il faut un avis conforme de la Commission des infractions fiscales. Sans cet avis, il ne peut pas y avoir de poursuites.
Il semble que dans l'avenir il en ira autrement en donnant notamment, sous certaines conditions d'agrément qui restent à préciser, le pouvoir de déclenchement de l'action publique à des associations anticorruption.
Dans le principe, cela va dans le bon sens, mais encore une fois, il faut attendre des précisions.
Karine : Ne serait-il pas plus efficace de faire en sorte que les structures déjà existantes aient les moyens de fonctionner correctement, plutôt que d'en créer de nouvelles en déshabillant les anciennes ?
Je suis assez d'accord. On veut créer un office de répression de la fraude fiscale et de la corruption, alors qu'il existe déjà un office de lutte contre la grande délinquance financière.
Il y a déjà une Commission pour la transparence, et on va créer une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Il y a déjà un procureur financier, on veut en créer un autre. Alors que dans le même temps, il n'y a pas assez de magistrats, certains services de police sont en sous-effectifs, il n'y a plus assez de greffiers dans les tribunaux. Dans certains cas, effectivement, les réformes envisagées sont avant tout des réformes de vocabulaire, là où il faudrait tout simplement donner des pouvoirs aux structures déjà existantes.
Karine : Vous parlez d'inéligibilité pour des infractions financières. Mais pourquoi se limiter dans la durée et sur la nature des délits ? Par exemple, pourquoi aujourd'hui se retrouve-t-on avec des députés qui ont été condamnés pour faux ?
 Justement, notre association prône, depuis sa création en 2002, l'inéligibilité à vie de tout homme ou femme politique condamné pour infraction financière. Actuellement, il n'existe qu'une interdiction à temps, qui peut être prononcée par les tribunaux mais qui n'est pas automatique.
Il semble qu'on s'oriente à présent vers une inéligibilité automatique, de droit, ce qui est déjà un progrès. En revanche, il semble qu'on hésite à rendre cette inéligibilité permanente, ce qui serait pour nous le seul moyen efficace d'empêcher que des gens malhonnêtes restent en politique.
Ernest : Que vous inspire la duplicité des partis politiques, qui pronent l'"exemplarité des politiques" d'un côté, et de l'autre investissent sans sourciller nombre de candidat(e)s ayant un passif judiciaire ?
Il y a effectivement un vrai problème dans le fonctionnement des partis politiques. Pour être investi, il vaut mieux le plus souvent connaître beaucoup de gens et avoir le bras long que d'être honnête. On pense trop souvent qu'il y a le choix pour l'électeur entre d'un côté un homme politique malhonnête mais compétent, et de l'autre un honnête pas forcément capable de résoudre les problèmes des citoyens.
C'est contre ce genre d'idées reçues qu'une association comme la nôtre se bat. On peut être à la fois honnête et bon élu. Il serait temps que les partis politiques le comprennent.
Dans quelle mesure y-a-t-il un risque de voyeurisme avec la publication des patrimoines et des revenus des élus ? Trop de transparence ne mène-t-elle pas à une forme de poujadisme?
 Il ne faut pas confondre, effectivement, transparence et voyeurisme. Autant il est nécessaire qu'il y ait une déclaration de patrimoine, tant des ministres que des parlementaires, de façon qu'on puisse s'assurer que le patrimoine n'a pas évolué entre le début du mandat et des fonctions et leur terme, autant, en revanche, l'espèce de surenchère un peu populiste à laquelle nous avons assisté ces dernières semaines a quelque chose d'absurde et d'indécent.
Ce n'est pas parce qu'on est riche qu'on est malhonnête, et au contraire, une absence de patrimoine peut aussi laisser supposer qu'on en cache une partie. Ce qui compte, c'est que l'autorité chargée de contrôler les déclarations ait les moyens, notamment humains, de le faire. Or on parle de donner aux inspecteurs des impôts cette tâche, alors qu'ils sont déjà surchargés par leur travail habituel.
Lors de la nomination d'un nouveau gouvernement, faut-il mener des enquêtes préliminaires sur les patrimoines et revenus des nouveaux ministres ?
Enquête préliminaire qui suppose enquête pénale, pas forcément. Mais il appartiendra à la future haute autorité d'examiner le plus rapidement possible l'origine et la réalité du patrimoine déclaré par ceux qui ont été ministres. Pour éviter une instabilité ministérielle, il faudra peut-être instaurer un délai entre ce qui est envisagé par le premier ministre et le fait de rendre publique la composition du gouvernement.
Est-il exact que l'action principale du fisc, lorsqu'il s'agit de "personnalités sensibles", consiste à mettre au coffre les déclarations d'impôts, pour éviter qu'un contrôleur lambda n'y mette son nez ?
Non, je n'irais pas jusque-là. Je pense qu'effectivement, certains ministres du budget passés ont utilisé l'arme fiscale comme moyen de dissuasion ou pour s'assurer un réel pouvoir de nuisance. En revanche, dire que ce serait l'essentiel du travail des inspecteurs des impôts, je ne suis pas d'accord.
Visiteur : Quelle position avez-vous sur la question des interdictions de certaines professions pour les parlementaires ?
Je suis très partagé, en fait. La vie politique ne devrait pas être considérée comme un travail en soi, mais comme un passage dans une vie. En conséquence, dans ce schéma, il faudrait considérer que quand on est dans la partie politique de sa carrière professionnelle, on ne fait que ça.
Ce qui suppose la véritable création d'un statut de l'élu qui permettrait, d'une part, à quelqu'un qui travaille dans un autre domaine de venir en politique, mais surtout qui lui permette de revenir dans sa branche d'origine à l'issue de son passage en politique.
Tant qu'on n'en est pas là, il me semble hasardeux d'interdire par principe toute autre fonction. En revanche, il faut s'assurer que l'autre fonction ne risque pas d'interférer dans les décisions ou les votes qui seront pris dans le cadre politique.
Yves Epain  : Quelles mesures préconisez-vous pour que les lobbies ne puissent intervenir sans contrôle au Parlement, au niveau des cabinets ministériels et dans les différentes collectivités locales ?
C'est LE problème important de la vie parlementaire. D'une part, certains élus sont directement ou indirectement liés à des groupes de pression importants, par exemple les laboratoires pharmaceutiques, les grosses sociétés du BTP. Par ailleurs, des groupes représentant ces intérêts viennent fréquemment dans les couloirs de l'Assemblée nationale. Il faudrait donc réglementer déjà très sévèrement l'accès aux locaux de l'Assemblée et du Sénat à des gens qui n'auraient rien à y faire, puisqu'ils viennent représenter des intérêts particuliers, et non pas l'intérêt général.
Par ailleurs, il faudra aussi que la haute autorité soit vigilante sur les postes occupés dans le privé par les anciens parlementaires ou les anciens membres des cabinets ministériels.
Il ne faut pas oublier que Jérôme Cahuzac, après avoir été au cabinet du ministre de la santé, a perçu des honoraires de la part de certains laboratoires.
Selon vous, quelle devrait être le mode de saisine de ce nouveau parquet anticorruption ?
Encore une fois, il faudra attendre ce qu'est exactement ce procureur. Je rappelle que le parquet anticorruption existe déjà dans chaque tribunal. Tout citoyen peut dénoncer des faits au parquet. Comme je le disais tout à l'heure, il est visiblement prévu que certaines associations anticorruption existant depuis au moins cinq ans et agréées par la haute autorité puissent déclencher l'action publique.
Il faudra éventuellement examiner la question de savoir si, comme cela se passe dans certains pays, notamment anglo-saxons, un certain nombre de citoyens - dont il conviendrait alors de fixer le nombre - ne pourraient pas également déclencher l'action publique. Ce qui est notamment proposé par notre association Anticor.
Scipion  : Au lieu des déclarations de patrimoine, ne serait-il pas au moins aussi opportun de contrôler les notes de frais comme en Suède ?
Les notes de frais, je ne sais pas. Mais il est certain que la façon dont les parlementaires sont rétribués, avec une enveloppe globale englobant à la fois leur traitement et le salaire de leurs assistants parlementaires, ainsi que leurs frais de fonctionnement, n'est pas saine.
Je pense notamment au fait que trop souvent, les assistants parlementaires sont des membres de la famille du député ou du sénateur. Il serait plus clair et plus transparent que les assistants parlementaires soient salariés de l'Assemblée nationale ou du Sénat, et non pas employés du parlementaire.
Clodie : Ce "mur des cons" qui fait réagir la classe politique et la presse depuis hier n'est pas spécialement choquant pour l'immense majorité des gens qui travaillent en entreprise où ce genre d'humour potache est courant. Vous a-t-il, vous, interpellé ?
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le syndicat de la magistrature fonctionne comme un syndicat professionnel, puisque le temps d'exercice de leur mandat syndical, les magistrats ne sont quasiment plus magistrats. C'est donc dans ce cadre syndical qu'a visiblement été construit, au fil des années, ce mur.
 On peut discuter sa pertinence, on ne peut pas, selon moi, s'en servir pour mettre en doute la neutralité des magistrats qui, partout en France, essaient de faire leur métier.

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